dimanche 3 juillet 2011

Haïkus d'autrefois - Julien Vocance

Né Joseph Seguin (1878-1954), Julien Vocance est un poète méconnu du public et l’un des premiers haïkistes français.

Lorsque le recueil Au fil de l’eau est publié, en 1903, Julien Vocance est touché par cette forme poétique. Plus tard, dans l’horreur de la guerre 14-18, il crée au front, dans les tranchées, des haïkus touchants et troublants. Cela donne Cent visions de guerre, publié dans la revue littéraire La Grande Revue en 1916. Il reviendra de la guerre aveugle d’un œil. Il publiera par la suite d’autres haïkus dans diverses revues, mais Cent visions de guerre demeure exceptionnel à plus d’un titre. Les haïkus de Julien Vocance ne respectent pas toujours la forme conventionnelle – 5-7-5 syllabes – mais rendent compte du moment présent où l’être traduit sa relation au monde dans un contexte inhabituel.

Paul-Louis Couchoud salue les haïkus de Julien Vocance, voyant en lui le meilleur haïjin* de sa génération : « Vous avez porté le haïkaï français aux sommets de la poésie. Vous en avez fait l’instrument de la sincérité absolue, de la substance pure, de la note essentielle et criante. »  1

Voici quelques haïkus :

Les cadavres entre les tranchées,
Depuis trois mois noircissant,
Ont attrapé la pelade

Par petits paquets,
En éventail autour de lui,
Sa chair a jailli.

Hier sifflant aux oreilles,
Aujourd’hui dans le képi,
Demain dans la tête

La mort dans le cœur,
L’épouvante dans les yeux,
Ils se sont élancés de la tranchée.

Front troué, sanglé dans la toile de tente,
Sur son épaule un camarade l’emporte :
Triste viande abattue… qu’une mère attend.

Quatre trombes de fumée noire,
Dont tout le sol est ébranlé!
Où tombera la prochaine bordée?

Des croix de bois blanc
Surgissent du sol,
Chaque jour, çà et là.

Dans la terre battue,
Le brun tourbillon
Des obus roulant comme des gosses.
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haïjin : poète de haïku ou haïkiste.
1. cité dans Au fil de l’eau, Édition établie par Éric Dussert, Éditions Mille et une nuits, 2004.