vendredi 24 février 2012

Dany Laferrière, un lecteur de Bashô

Dans L’art presque perdu de ne rien faire, on peut lire de belles pages sur Bashô (1644-1694), l’un des premiers poètes que lit l’amateur de haïkus. Bashô qui a été un fervent, bien avant Kerouac, du voyage poétique. Contrairement aux adeptes du road trip, qui se déplacent en automobile, Bashô voyage à pied, ce qui s’apparente davantage au pèlerinage traditionnel.

« Bashô n’est pas un survolté comme ces poètes de la beat generation. Aucune précipitation. On s’arrête souvent en chemin.  (…) Pour Bashô, il faut ralentir le rythme sans baisser l’intensité. Mais il sait reconnaître la gravité en observant la vie qui se déroule dans un univers si minuscule qu’il intéresse peu de gens.


Rien ne dit
                           Dans le chant de la cigale
                           Qu’elle est près de sa fin.

Il ne se contente pas d’observer la cigale, il s’efforce de comprendre ce qu’elle ressent à ce moment ultime, et parvient même à nous faire ressentir son courage. Ce n’est pas étonnant qu’une telle sensibilité ait pu franchir avec cette grâce les siècles pour atterrir dans notre époque et les espaces et se retrouver dans ma salle de bains. Rien ne peut arrêter un poète dans sa course. »

Source : Dany Laferrière, L’art presque perdu de ne rien faire. Montréal, Boréal, 2011.


vendredi 17 février 2012

Haïku d'hiver




sous la glace
les fleurs gelées
patiner sur l’été

Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010.


(Photo: Roger Joannette)

vendredi 10 février 2012

Poésie brève : le cinquain

Le cinquain est un poème de 22 syllabes réparties sur cinq lignes. Cette forme de poésie brève est quelque peu semblable au haïku puisque le cinquain n’est pas rimé et que l’on se base sur le nombre de syllabes, parfois de mots, pour déterminer la longueur du poème : 2-4-6-8-2 syllabes, ou encore 1-2-3-4-1 mots. Tout comme le haïku, le cinquain met en valeur des éléments concrets. Au contraire du haïku ou du tanka, cependant, il ne comporte pas de césure et le genre autorise des vers plus liés.

C’est la poétesse Adelaide Crapsey (États-Unis, 1878-1914) qui, inspirée par la lecture de haïkus et de tankas, au début du XXe siècle, a développé cette forme américaine de poésie brève. Décédée à 36 ans, Adelaide Crapsey n’a pu, toutefois, explorer ce genre plus en profondeur et ses poèmes ont été publiés à titre posthume.

Voici un cinquain d’Adelaide Crapsey, intitulé « Triad » :
  
These be
Three silent things:
The falling snow... the hour
Before the dawn... the mouth of one
Just dead.


Lisez ici d’autres cinquains d’Adelaide Crapsey.
La pratique du cinquain demeure marginale dans la poésie contemporaine et surtout concentrée, semble-t-il, aux États-Unis. Il s’agit donc d’une forme qui demeure ouverte à l’exploration.

En français, on retrouve le quintil, entre autres chez plusieurs poètes, tels Joachim du Bellay, Victor Hugo et Guillaume Apollinaire, mais, en raison de l’époque et des sujets traités, le quintil est quelque peu différent du cinquain tel qu’élaboré par Adelaide Crapsey.

mercredi 1 février 2012

L'art presque perdu de ne rien faire

Dany Laferrière, dans son tout dernier livre, L’art presque perdu de ne rien faire, nous invite à voir le monde à sa façon. Sous forme de chroniques, l’écrivain met en scène un art de vivre bien particulier qui souhaite capturer l’instant. Incidemment, en lisant certains passages, je voyais des haïkus répondre à ses affirmations. Voyons plutôt :

La fourmi n’est pas à moi

«Si je renversais la situation en me laissant posséder au lieu de chercher à posséder ? (…) Un temps pour apprécier cette nouvelle situation avant de commencer à énumérer, avec un étonnante jubilation, tout ce à quoi j’appartiens : le ciel ne m’appartient pas, j’appartiens au ciel ; la lune ne m’appartient pas, j’appartiens à la lune ; les étoiles ne m’appartiennent pas, j’appartiens aux étoiles ; la rivière ne m’appartient pas, j’appartiens à la rivière ; la fourmi ne m’appartient pas, j’appartiens à la fourmi ; l’arbre ne m’appartient pas, j’appartiens à l’arbre ; l’enfance ne m’appartient pas, j’appartiens à l’enfance ; la mort ne m’appartient pas, j’appartiens à la mort. Je vais partout libre puisque je ne possède plus rien.» (p. 94)

Ne pense-t-on pas au poète Issa qui affirme :

Ne possédant rien
comme mon cœur est léger
comme l’air est frais

Ou encore ceci :

«… le plus beau voyage dans le temps que je connaisse, c’est celui que procure la lecture. On vous croit dans cette pièce alors que vous vagabondez dans d’autres siècles. Et cela sans faire le moindre bruit.» (p. 97)

Tiens, une association d’idées  – coïncidence ! – avec l’un de mes haïkus publiés dans Gong 34 :

ouvrir un livre
et voyager sans bagage
dehors la pluie

Enfin, un autre passage :

 «Ce serait difficile d’implanter une dictature dans une société où le froid atteint parfois -40 degrés avec le facteur vent. La glace nous emprisonne dans notre individualité au point d’éteindre en nous tout rêve collectif. Alors que la dictature a besoin de foules spontanées (en chômage) et bigarrées (légèrement vêtues), disponibles à toute heure, pour envahir les rues au péril de leur vie.» (p. 181)

Ne voit-on pas, encore une fois, Issa célébrer l’hiver, à travers une sereine solitude ?

Être là,
tout simplement,
au milieu de la neige qui tombe