mardi 20 décembre 2022

Ukraine

 


ciel de printemps
rempli d’oiseaux – en Ukraine 
les oiseaux d’acier

résistance à Kharkiv
un mariage sous les bombes 
au milieu des ruines


Ces haïkus ont été publiés dans le numéro 19 de la revue Entrevous (juin 2022), de la Société littéraire de Laval.

lundi 26 septembre 2022

L'esprit du haïku : instant présent, acceptation du réel, impermanence

Les poètes de haïku se rappellent souvent du moment où ils ont découvert ce petit poème et, par le fait même, la philosophie qui sous-tend la création. En ce qui me concerne, le livre de Jean-Hugues Malineau,Paroles du Japon(Paris, Albin-Michel, 1997), a joué ce rôle de catalyseur. En analysant ces haïkus classiques japonais, la lectrice que j’étais s’est laissée entraîner sur la piste d’une exploration différente du langage, la sérénité de l’ensemble, bref, la poésie de l’instant présent.

 

Quand nous sommes dans l’instant, sommes-nous vraiment là?

 

Tout un programme puisque l’instant présent est le seul qui nous appartienne. Dans notre réalité, le passé ou l’avenir n’existent que dans notre cerveau. Le présent est rempli de rêveries, de préoccupations de toutes sortes qui se succèdent les unes aux autres, de sorte qu’il est difficile d’être vraiment dans la plénitude du moment.

 

On peut constater, en lisant la biographie des anciens poètes de haïku, que leur existence même devenait la base de leur oeuvre. C’est dire le lien très étroit, voire l’osmose réalisée entre la vie et la création. On peut le constater entre autres chez Bashô, Buson, Shiki, Issa. Ces créateurs ont mené des existences de moines, à tout le moins d’ascètes. Des vies souvent précaires, où la pauvreté, la maladie, l’errance, les revers de fortune faisaient partie intégrante de leur monde. Encore aujourd’hui, accepter et apprécier ce qui est, est encore le défi des haïkistes. Ne pas essayer nécessairement de faire beau, mais être vrai. Être dans la vérité de l’instant.

 

Un haïku ne fait pas de phrase. Un haïku ne fait pas la roue. Un haïku est une ascèse. Justesse du coup d’œil, modestie d’une écriture prompte à s’effacer. Pas d’image habile, d’adjectifs élégants, d’adverbes tonitruants, pas de coquetterie d’auteur. Un haïku réussi est celui dont « le langage n’est plus langage ». Juste l’esquisse d’un sourire, comme une porte qui s’entrebâille sur l’infini. 

 

Henri Brunel, Humour zen.Calman-Lévy, 2003, p. 215.

 

Ce qui nous amène à l’impermanence du moment présent. Les bons moments comme les difficultés de la vie sont appelés à disparaître. Notre monde, fait d’illusions et de souffrance, n’est qu’un monde flottant.

 

On retrouve ce concept d’Ukiyodans plusieurs haïkus japonais. Ce monde fait référence à l’impermanence des choses et l’importance du moment présent, notions en lien avec la spiritualité orientale.

 

Alors que jadis, on prétendait que les fruits de ce monde de souffrance et de destinée fluctuante pourraient être récoltés dans une vie ultérieure, à compter du XVIIesiècle environ, le monde flottant fait surtout référence à l’importance de profiter du temps présent tout en affichant une certaine insouciance face à l’avenir. On en voit très bien l’illustration dans les Contes du monde flottant(Ukiyo Monogatari) de l’écrivain Asai Ryôi (1666) :

 

Vivre uniquement le moment présent,

se livrer tout entier à la contemplation

de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier

et de la feuille d'érable... ne pas se laisser abattre

par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître

sur son visage, mais dériver comme une calebasse

sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo. 

 

 

À cet égard, les estampes sont souvent identifiées comme étant les « images du monde flottant ». La grande vague de Kanagawa(1830 ou 1831) d’Hokusai, est une ukiyo-e. Elle fait partie de la série des Trente-six vues du mont Fuji.


On traduit souvent en français le concept de monde flottant par « monde éphémère », ce qui rend davantage le sens d’impermanence. 

 

À noter que ce sont sans doute ces caractéristiques du haïku – instant présent, acceptation du réel, impermanence, quelquefois même une révélationqui parvient à la conscience du créateur et qui s’apparente à l’éveil ou ausatori– qui nous a fait assimiler, en Occident, la pratique du haïku avec la méditation, la pleine conscience ou le bouddhisme.

 

Voici quelques haïkus, certains faisant référence au monde d’afflictions et de tourments, les autres à la vision insouciante, plus moderne :

 

La fin de l’année.

Tous les problèmes

de ce monde flottant, balayés.

(Bashô)

 

Dans ce monde qui est le nôtre,

nous marchons sur le toit de l’enfer

en contemplant les fleurs.

(Issa)

 

En ce monde flottant

Devenez bonze en chef

Et vous ferez la sieste !

(Sôseki)

 

Sous les fleurs d’un monde flottant

Avec mon riz brun

Et mon saké blanc

(Bashô)

 

Regarde, regarde

les vraies fleurs

de ce monde de souffrance.

(Bashô)

 

Sous la lune d’automne,

Cinq ou six bandits ;

Des êtres qui vivent en dehors de ce monde.

(Buson)

 

Dans ce monde,

même les papillons

doivent gagner leur pain.

(Issa)

 

Les gouttes de rosée tombent

une par une.

Ce monde est parfait.

(Issa)

 

 

Bibliographie :

Brunel, Henri, Humour zen.Paris, Calmann-Lévy, 2003.

Collectif, Le Japon illustré.Lyon, Fage Éditions, 2009.

Les grands maîtres du haïku. Bashô, Issa, Buson, Shiki, TaïgiParis, Éditions Dervy, 2003.

 

 

vendredi 24 juillet 2020

Le poème favori de Yoko Ono


My journey over

my dreams race around

the withered moors

 

Mon voyage terminé

mes rêves courent 

dans les landes desséchées

 

Bashô

 

C’est, paraît-il, le dernier haïku que Bashô a prononcé avant de mourir en 1694. Plusieurs traductions existent, dont celle qu’Ono propose ici en anglais. On a le sentiment de tout ce qui reste à faire, tout ce qui serait possible. Pourquoi ce poème est-il le préféré de Yoko Ono ? C’est, dit-elle, comme plusieurs de ses propres productions artistiques, l’esprit est le protagoniste de l’histoire et son travail reste inachevé. Comme la poésie de Bashô, son travail vise à mettre l’invisible en lumière. Une invitation à la réalisation de soi.

 

Alexandra Munroe. Yoko Ono’s Bashô : A ConversationMedium, 30 octobre 2015.

Portrait de Bashô par Buson.

 

© L’esprit du haïku, 2020.

Mentionnez la source lorsque vous citez des extraits de ce blogue. Merci.

 

mercredi 18 décembre 2019

Accueillir ce qui est nouveau


Pour stimuler sa créativité, l’écriture de haïkus est souvent vue, chez certains auteurs, comme une entrée en matière, une façon d’être présent au monde. Lire et écrire des haïkus aurait des effets antistress, au même titre que la méditation de pleine conscience. Cela permettrait ainsi d’oublier son ego, de se recentrer et surtout, d’accueillir ce qui est nouveau, d’accueillir le mouvement, le changement. Les auteurs anciens de haïkus ont donné l’exemple avec leurs haïkus de la nouvelle année, considérée alors comme une saison à part entière. 
                                                           
matin du premier jour
dans le poêle
quelques braises de l’an passé
(Katô Gyôdai, 1732-1792)

fête du Nouvel An
j’aimerais la célébrer dans la capitale
avec un ami 
(Matsuo Bashô, 1644-1694)

Jour de l’An
rien de bon ni de mauvais –
seulement des êtres humains
(Masaoka Shiki, 1867-1902)

Premier jour de l’année
le maître du haïkaï
a un petit air satisfait
(Yosa Buson, 1716-1783)

Un jour de nouvel an différent des autres
comme je suis bien
avec mon vieux tatami
(Tan Taigi, 1709-1771)


Au-delà des modes, le haïku nous aide sans doute à voir autrement, à développer une vision dénuée de tout jugement, à être plus sensible aux humains et à tout ce qui vit, à s’ancrer dans le moment présent. Éloge de la simplicité par opposition à la surconsommation qui règne en maître dans le monde actuel, le haïku nous permet de capter la beauté de l’ici et maintenant, ce moment unique d’émerveillement où l’on revient à l’essentiel. 


© Louise Vachon
Illustration : Andô, Hiroshige (1797-1858), 1832. The New York Public Library Digital Collections, Japanese Prints. 

lundi 1 avril 2019

Photo et haïku - une rencontre poétique éphémère




après-midi d’hiver
le plaisir de la raquette
mes pas dans les tiens



© Photo : Roger Joannette





La photographie est « pré-texte », disent certains auteurs, représentation du réel, saisie de l’instant, récit d’un moment, souvenir, mémoire. Tout cela.

Le haïku aussi, à sa manière.

La photo renvoie à une histoire à reconstruire pour celui qui regarde l’image. Lorsqu’un haïku est présent, on cherche ainsi à créer un lien qui n’existait pas à l’origine, bien que le texte ne soit pas purement descriptif de la photo. On remarque, la plupart du temps, le haïku inscrit directement sur la photo. En ce sens, cette façon de faire est celle des haïgas, qui marient dessin, peinture ou estampe et calligraphie japonaise. En ce qui me concerne, le haïku n’est jamais écrit sur la photo choisie pour l’accompagner. Image et poésie ne sont ensemble que le temps d’un instant. Après, ils sont libres de reprendre leur route.

Pour moi, la photo qui intègre l’écriture dans un même cadre, comble des besoins bien précis : publicité, pages-titres de journaux et de magazines, pages Web, médias sociaux, cartes postales, etc. En revanche, dans les magazines spécialisés de photographie artistique ou documentaire, ou encore en photojournalisme, jamais on ne voit d’image sur laquelle on y a inscrit un texte. C’est ainsi que la photographie et le haïku doivent rester libres.

La principale raison est que l’œil ne décode pas l’image de la même façon si un message y est inscrit. Dans ce cas, l’œil est attiré par l’image mais, en balayant la surface, l’œil est distrait par les mots, il sort du cadre –  encore davantage si le message est inscrit au bas ou dans un coin de la photo –  ce qui amoindrit le message transmis, quelle que soit la qualité de l’écriture ou de la photo. 

De plus, comme nous sommes deux personnes (photographe et poète de haïku/tanka) qui produisons dans chacun notre domaine, il y aurait risque de confusion en associant définitivement texte et image. La jonction de la photo et du haïku ouvre plutôt la voie à d’autres associations de poèmes et d’images. Ainsi, ces œuvres de création profitent pleinement de leur liberté et sont appréciés séparément, mais aussi ensemble dans une rencontre poétique éphémère.

-----
Texte publié dans Gong # 63, Revue francophone de haïku, avril-juin 2019, p. 8.

jeudi 17 janvier 2019

Premier haïku

J’ai déjà raconté, dans Paroles du Japon, qui reprend le titre du livre de Hugues Malineau, comment j’ai eu le coup de foudre pour le haïku, en 2000. J’ai lu, par la suite, plusieurs livres concernant le haïku et également les écrits de plusieurs auteurs, de toutes nationalités, que j’ai découverts, entre autres, sur le site HAIKU & CO, puis Haïku sans frontières, d’André Duhaime. Évidemment, comme le dit si bien Roland Barthes, « Le haïku a cette propriété quelque peu fantasmagorique, que l’on s’imagine toujours pouvoir en faire soi-même facilement. » Tout en découvrant le haïku, mes premiers essais, le 10 juin 2000. En voici un, inédit :


plaintif et solitaire
le chant de la tourterelle
l’appel de l’été

J’ai aussi le souvenir du premier triparshva (renkuprésentant des règles particulières) bilingue auquel j’ai participé, en 2005-2006, avec le Britannique John Carley (1955-2014) comme sabakite ou meneur de jeu. Les autres participantes étaient Janick Belleau, Monique Parent et Danyelle Morin, Micheline Beaudry étant invitée à produire une intervention.

Ce renku a été produit par échanges de courriels. À tour de rôle, nous écrivions trois haïkus et le groupe choisissait le haïku final. Je me souviens d’avoir proposé, comme première participation :

sur ma table de travail
l’agenda
ouvert à la première page

Nous étions un premier janvier. Mon agenda m’attendait et commençait à se remplir, mais la première page était un jour férié, exempt de contraintes et de rendez-vous. Jardin d’hiver / Winter Garden a, par la suite, été publié dans la revue Gong d’octobre 2006 et dans le journal en ligne Simply Haiku, en anglais et en français au printemps 2007.


Paru dans Gong, Revue francophone de haïku #60, juillet-septembre 2018, p. 16.

Image : Hara, Asa no Fuji, Hiroshige, 1832. 
Source : The New York Public Library Digital Collection


mercredi 28 novembre 2018

Un haïku pour le climat



Le collectif Un haïku pour le climat vient de paraître, coédité par le CLER – Réseau pour la transition énergétique, l’Association francophone de haïku et les Éditions L’iroli. Ce collectif regroupe les haïkus sélectionnés lors du concours CLER, « Un haïku pour le climat », qui remporte chaque année, depuis 2015, un franc succès, et par un appel à textes des Éditions L’iroli.

Je suis fière d’y participer : 

la clarté lumineuse
du soleil sur toutes choses
fin d’hiver

(Un haïku pour le climat, p. 113)