L'esprit du haïku
mardi 20 décembre 2022
Ukraine
lundi 26 septembre 2022
L'esprit du haïku : instant présent, acceptation du réel, impermanence
Les poètes de haïku se rappellent souvent du moment où ils ont découvert ce petit poème et, par le fait même, la philosophie qui sous-tend la création. En ce qui me concerne, le livre de Jean-Hugues Malineau,Paroles du Japon(Paris, Albin-Michel, 1997), a joué ce rôle de catalyseur. En analysant ces haïkus classiques japonais, la lectrice que j’étais s’est laissée entraîner sur la piste d’une exploration différente du langage, la sérénité de l’ensemble, bref, la poésie de l’instant présent.
Quand nous sommes dans l’instant, sommes-nous vraiment là?
Tout un programme puisque l’instant présent est le seul qui nous appartienne. Dans notre réalité, le passé ou l’avenir n’existent que dans notre cerveau. Le présent est rempli de rêveries, de préoccupations de toutes sortes qui se succèdent les unes aux autres, de sorte qu’il est difficile d’être vraiment dans la plénitude du moment.
On peut constater, en lisant la biographie des anciens poètes de haïku, que leur existence même devenait la base de leur oeuvre. C’est dire le lien très étroit, voire l’osmose réalisée entre la vie et la création. On peut le constater entre autres chez Bashô, Buson, Shiki, Issa. Ces créateurs ont mené des existences de moines, à tout le moins d’ascètes. Des vies souvent précaires, où la pauvreté, la maladie, l’errance, les revers de fortune faisaient partie intégrante de leur monde. Encore aujourd’hui, accepter et apprécier ce qui est, est encore le défi des haïkistes. Ne pas essayer nécessairement de faire beau, mais être vrai. Être dans la vérité de l’instant.
Un haïku ne fait pas de phrase. Un haïku ne fait pas la roue. Un haïku est une ascèse. Justesse du coup d’œil, modestie d’une écriture prompte à s’effacer. Pas d’image habile, d’adjectifs élégants, d’adverbes tonitruants, pas de coquetterie d’auteur. Un haïku réussi est celui dont « le langage n’est plus langage ». Juste l’esquisse d’un sourire, comme une porte qui s’entrebâille sur l’infini.
Henri Brunel, Humour zen.Calman-Lévy, 2003, p. 215.
Ce qui nous amène à l’impermanence du moment présent. Les bons moments comme les difficultés de la vie sont appelés à disparaître. Notre monde, fait d’illusions et de souffrance, n’est qu’un monde flottant.
On retrouve ce concept d’Ukiyodans plusieurs haïkus japonais. Ce monde fait référence à l’impermanence des choses et l’importance du moment présent, notions en lien avec la spiritualité orientale.
Alors que jadis, on prétendait que les fruits de ce monde de souffrance et de destinée fluctuante pourraient être récoltés dans une vie ultérieure, à compter du XVIIesiècle environ, le monde flottant fait surtout référence à l’importance de profiter du temps présent tout en affichant une certaine insouciance face à l’avenir. On en voit très bien l’illustration dans les Contes du monde flottant(Ukiyo Monogatari) de l’écrivain Asai Ryôi (1666) :
Vivre uniquement le moment présent,
se livrer tout entier à la contemplation
de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier
et de la feuille d'érable... ne pas se laisser abattre
par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître
sur son visage, mais dériver comme une calebasse
sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo.
À cet égard, les estampes sont souvent identifiées comme étant les « images du monde flottant ». La grande vague de Kanagawa(1830 ou 1831) d’Hokusai, est une ukiyo-e. Elle fait partie de la série des Trente-six vues du mont Fuji.
On traduit souvent en français le concept de monde flottant par « monde éphémère », ce qui rend davantage le sens d’impermanence.
À noter que ce sont sans doute ces caractéristiques du haïku – instant présent, acceptation du réel, impermanence, quelquefois même une révélationqui parvient à la conscience du créateur et qui s’apparente à l’éveil ou ausatori– qui nous a fait assimiler, en Occident, la pratique du haïku avec la méditation, la pleine conscience ou le bouddhisme.
Voici quelques haïkus, certains faisant référence au monde d’afflictions et de tourments, les autres à la vision insouciante, plus moderne :
La fin de l’année.
Tous les problèmes
de ce monde flottant, balayés.
(Bashô)
Dans ce monde qui est le nôtre,
nous marchons sur le toit de l’enfer
en contemplant les fleurs.
(Issa)
En ce monde flottant
Devenez bonze en chef
Et vous ferez la sieste !
(Sôseki)
Sous les fleurs d’un monde flottant
Avec mon riz brun
Et mon saké blanc
(Bashô)
Regarde, regarde
les vraies fleurs
de ce monde de souffrance.
(Bashô)
Sous la lune d’automne,
Cinq ou six bandits ;
Des êtres qui vivent en dehors de ce monde.
(Buson)
Dans ce monde,
même les papillons
doivent gagner leur pain.
(Issa)
Les gouttes de rosée tombent
une par une.
Ce monde est parfait.
(Issa)
Bibliographie :
Brunel, Henri, Humour zen.Paris, Calmann-Lévy, 2003.
Collectif, Le Japon illustré.Lyon, Fage Éditions, 2009.
Les grands maîtres du haïku. Bashô, Issa, Buson, Shiki, Taïgi. Paris, Éditions Dervy, 2003.
vendredi 24 juillet 2020
Le poème favori de Yoko Ono
My journey over
my dreams race around
the withered moors
Mon voyage terminé
mes rêves courent
dans les landes desséchées
Bashô
C’est, paraît-il, le dernier haïku que Bashô a prononcé avant de mourir en 1694. Plusieurs traductions existent, dont celle qu’Ono propose ici en anglais. On a le sentiment de tout ce qui reste à faire, tout ce qui serait possible. Pourquoi ce poème est-il le préféré de Yoko Ono ? C’est, dit-elle, comme plusieurs de ses propres productions artistiques, l’esprit est le protagoniste de l’histoire et son travail reste inachevé. Comme la poésie de Bashô, son travail vise à mettre l’invisible en lumière. Une invitation à la réalisation de soi.
Alexandra Munroe. Yoko Ono’s Bashô : A Conversation. Medium, 30 octobre 2015.
Portrait de Bashô par Buson.
© L’esprit du haïku, 2020.
Mentionnez la source lorsque vous citez des extraits de ce blogue. Merci.
mercredi 18 décembre 2019
Accueillir ce qui est nouveau
lundi 1 avril 2019
Photo et haïku - une rencontre poétique éphémère
jeudi 17 janvier 2019
Premier haïku
mercredi 28 novembre 2018
Un haïku pour le climat
Le collectif Un haïku pour le climat vient de paraître, coédité par le CLER – Réseau pour la transition énergétique, l’Association francophone de haïku et les Éditions L’iroli. Ce collectif regroupe les haïkus sélectionnés lors du concours CLER, « Un haïku pour le climat », qui remporte chaque année, depuis 2015, un franc succès, et par un appel à textes des Éditions L’iroli.