lundi 26 septembre 2022

L'esprit du haïku : instant présent, acceptation du réel, impermanence

Les poètes de haïku se rappellent souvent du moment où ils ont découvert ce petit poème et, par le fait même, la philosophie qui sous-tend la création. En ce qui me concerne, le livre de Jean-Hugues Malineau,Paroles du Japon(Paris, Albin-Michel, 1997), a joué ce rôle de catalyseur. En analysant ces haïkus classiques japonais, la lectrice que j’étais s’est laissée entraîner sur la piste d’une exploration différente du langage, la sérénité de l’ensemble, bref, la poésie de l’instant présent.

 

Quand nous sommes dans l’instant, sommes-nous vraiment là?

 

Tout un programme puisque l’instant présent est le seul qui nous appartienne. Dans notre réalité, le passé ou l’avenir n’existent que dans notre cerveau. Le présent est rempli de rêveries, de préoccupations de toutes sortes qui se succèdent les unes aux autres, de sorte qu’il est difficile d’être vraiment dans la plénitude du moment.

 

On peut constater, en lisant la biographie des anciens poètes de haïku, que leur existence même devenait la base de leur oeuvre. C’est dire le lien très étroit, voire l’osmose réalisée entre la vie et la création. On peut le constater entre autres chez Bashô, Buson, Shiki, Issa. Ces créateurs ont mené des existences de moines, à tout le moins d’ascètes. Des vies souvent précaires, où la pauvreté, la maladie, l’errance, les revers de fortune faisaient partie intégrante de leur monde. Encore aujourd’hui, accepter et apprécier ce qui est, est encore le défi des haïkistes. Ne pas essayer nécessairement de faire beau, mais être vrai. Être dans la vérité de l’instant.

 

Un haïku ne fait pas de phrase. Un haïku ne fait pas la roue. Un haïku est une ascèse. Justesse du coup d’œil, modestie d’une écriture prompte à s’effacer. Pas d’image habile, d’adjectifs élégants, d’adverbes tonitruants, pas de coquetterie d’auteur. Un haïku réussi est celui dont « le langage n’est plus langage ». Juste l’esquisse d’un sourire, comme une porte qui s’entrebâille sur l’infini. 

 

Henri Brunel, Humour zen.Calman-Lévy, 2003, p. 215.

 

Ce qui nous amène à l’impermanence du moment présent. Les bons moments comme les difficultés de la vie sont appelés à disparaître. Notre monde, fait d’illusions et de souffrance, n’est qu’un monde flottant.

 

On retrouve ce concept d’Ukiyodans plusieurs haïkus japonais. Ce monde fait référence à l’impermanence des choses et l’importance du moment présent, notions en lien avec la spiritualité orientale.

 

Alors que jadis, on prétendait que les fruits de ce monde de souffrance et de destinée fluctuante pourraient être récoltés dans une vie ultérieure, à compter du XVIIesiècle environ, le monde flottant fait surtout référence à l’importance de profiter du temps présent tout en affichant une certaine insouciance face à l’avenir. On en voit très bien l’illustration dans les Contes du monde flottant(Ukiyo Monogatari) de l’écrivain Asai Ryôi (1666) :

 

Vivre uniquement le moment présent,

se livrer tout entier à la contemplation

de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier

et de la feuille d'érable... ne pas se laisser abattre

par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître

sur son visage, mais dériver comme une calebasse

sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo. 

 

 

À cet égard, les estampes sont souvent identifiées comme étant les « images du monde flottant ». La grande vague de Kanagawa(1830 ou 1831) d’Hokusai, est une ukiyo-e. Elle fait partie de la série des Trente-six vues du mont Fuji.


On traduit souvent en français le concept de monde flottant par « monde éphémère », ce qui rend davantage le sens d’impermanence. 

 

À noter que ce sont sans doute ces caractéristiques du haïku – instant présent, acceptation du réel, impermanence, quelquefois même une révélationqui parvient à la conscience du créateur et qui s’apparente à l’éveil ou ausatori– qui nous a fait assimiler, en Occident, la pratique du haïku avec la méditation, la pleine conscience ou le bouddhisme.

 

Voici quelques haïkus, certains faisant référence au monde d’afflictions et de tourments, les autres à la vision insouciante, plus moderne :

 

La fin de l’année.

Tous les problèmes

de ce monde flottant, balayés.

(Bashô)

 

Dans ce monde qui est le nôtre,

nous marchons sur le toit de l’enfer

en contemplant les fleurs.

(Issa)

 

En ce monde flottant

Devenez bonze en chef

Et vous ferez la sieste !

(Sôseki)

 

Sous les fleurs d’un monde flottant

Avec mon riz brun

Et mon saké blanc

(Bashô)

 

Regarde, regarde

les vraies fleurs

de ce monde de souffrance.

(Bashô)

 

Sous la lune d’automne,

Cinq ou six bandits ;

Des êtres qui vivent en dehors de ce monde.

(Buson)

 

Dans ce monde,

même les papillons

doivent gagner leur pain.

(Issa)

 

Les gouttes de rosée tombent

une par une.

Ce monde est parfait.

(Issa)

 

 

Bibliographie :

Brunel, Henri, Humour zen.Paris, Calmann-Lévy, 2003.

Collectif, Le Japon illustré.Lyon, Fage Éditions, 2009.

Les grands maîtres du haïku. Bashô, Issa, Buson, Shiki, TaïgiParis, Éditions Dervy, 2003.