mardi 13 décembre 2016

Décembre



la première tempête
s’abat sur la ville
puis le silence


Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010, p. 7
Photo :  © Roger Joannette

mercredi 16 novembre 2016

Wabi



Par définition, le haïku, qui cherche la simplicité, est souvent imprégné de wabi. Le wabi, c’est la beauté, la sérénité des choses simples associée à une certaine austérité. Ainsi, la vie monastique, une scène campagnarde, le calme de la nature reflètent le wabi. C’est peut-être à cause du wabi qui imprègne les poèmes qu’on associe souvent le haïku au zen et à la méditation. En voici quelques exemples :

Vieil étang
une grenouille plonge
le bruit de l’eau


À l’est, à l’ouest
le même sens du beau –
Vent d’automne



Devant l’éclair
sublime est celui
qui ne sait rien!

Bashô

Dans mon bol de fer
en guise d’aumône
la grêle

Taveda Santôka

Le Bouddha m’accorde
un peu de temps –
je fais la lessive

Hôsai

Au sanctuaire –
sur les pérales de magnolia
des fleurs de cerisier

Ryôkan

En poésie française, certains poèmes des Méditations poétiques d’Alphonse de Lamartine traduisent le wabi. Voici un extrait de L’Automne :

Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire;
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois.

En poésie québécoise, on peut citer, entre autres, Hector de Saint-Denys Garneau :

Les ormes

Dans les champs
Calmes parasols
Sveltes, dans une tranquille élégance
Les ormes sont seuls ou par petites familles.
Les ormes calmes font de l’ombre
Pour les vaches et les chevaux
Qui les entourent à midi.
Ils ne parlent pas
Je ne les ai pas entendus chanter.
Ils sont simples
Ils font de l’ombre légère
Bonnement
Pour les bêtes.

(Regards et jeux dans l’espace)

Pour aller plus loin :
Bashô, Seigneur ermite. L’intégrale des haïkus, La table ronde, 2012.
Haïku – Anthologie du poème court japonais. Présentation, choix et traduction de Corinne Atlan et Zéno Bianu. Gallimard, 2002.
William J. Higginson, The Haiku Handbook, Kodansha International, 1985.
Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise, des origines à nos jours. Typo, 2007.

Photo : ©️Roger Joannette

vendredi 11 novembre 2016

Un haïku de Leonard Cohen


Silence
and a deeper silence
when the crickets
hesitate

Le silence
et un silence plus profond
quand les grillons 
hésitent

mardi 25 octobre 2016

Haïku d'automne




mariage d'oiseaux
la fuite
devant l'hiver

dans Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010, p. 5.
Photo : ©️Louise Vachon

mercredi 12 octobre 2016

Sabi


Bashô, universellement reconnu comme étant le père du haïku, a élaboré de son vivant des principes, pour l’écriture de haïkus, qu’il appliquait à son école. L’un de ces principes, le sabi, peut se définir comme la conscience du passage du temps et de l’altération qui en résulte, infligée aux êtres et aux choses. On fait ainsi référence à des notions de vieillissement, d’usure. C’est ainsi qu’on parlera de la patine du bronze, de la rouille du fer, de l’usure des ans, des lichens, du bois vermoulu, des cheveux blancs, du déclin, du regret du temps passé, etc. Quelques exemples :


Les gardiens des fleurs
rapprochent en devisant
leurs têtes chenues

                            Kyoraï

Une courge cireuse –
La forme de nos visages
tout altérée

                            Bashô

la flopée de mouches
échappe à ses claques
ah! cette main ridée

                        Issa

Rien ne bouge
Que le ciel d’été
Lichen sur les pins

                                      Shûson Katô

Mes facultés
de discernement cessent –
Fin de l’année

                          Bashô

Cette notion ne nous est pas étrangère. On connaît, en poésie française, La Chanson d’automne de Verlaine (« Les sanglots longs des violons de l’automne… ») ou encore Les Feuilles mortes de Prévert (« Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Les souvenirs et les regrets aussi… ») ou encore, en poésie québécoise, ce passage de La marche à l’amour de Gaston Miron :

puis les années m’emportent sens dessus dessous
je m’en vais en délabre au bout de mon rouleau (…)

C’est aussi le poème Lassitude, de Rina Lasnier :

Lassitude, ô ma lassitude de vivre!
Plus lasse que toutes les lassitudes.
Plus lasse que la chair lasse de se meurtrir et d’aimer,
que la chair opprimée d’un poids rebutant,
que la chair qui lutte et impuissante se rend (…)



Pour aller plus loin :
Bashô, Seigneur ermite. L’intégrale des haïkus, La table ronde, 2012.
Henri Brunel, Sages ou fous les haïkus?, Calmann-Lévy, 2005.
Philippe Costa, Petit manuel pour écrire des haïku, Éditions Philippe Picquier, 2000.
William J. Higginson, The Haiku Handbook, Kodansha International, 1985.
Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise, des origines à nos jours. Typo, 2007.

Texte et photo : ©️ Louise Vachon

samedi 23 juillet 2016

Kigo, le mot de saison


Le kigo est un mot ou un groupe de mots associé à une saison. À l’origine, le kigo indiquait dans le hokku, premier vers du renga ou poème lié, dans quelle saison le poème était écrit. La tradition est restée et, pour le haïku indépendant, qui est axé sur la nature, le mot de saison trouve tout naturellement sa place. Le kigo a pour fonction de stimuler l’engagement et l’imagination du lecteur qui peut ainsi comprendre et apprécier la mise en scène, le décor où se déploie le haïku. Pour les Japonais, le mot de saison est même la clé de l’art du haïku puisqu’il engendre l’expérience esthétique chez le lecteur. Et surtout, comme l’a remarqué Maurice Coyaud, « l’introduction obligatoire du mot-saison dans un haïku permet de ne pas sombrer dans les abstractions, ce péché mortel du haïku » (in Fourmis sans ombre - Le livre du haïku, Paris, Phébus, 1999, p. 23).

Le kigo est souvent explicite : printemps, jour d’hiver, matin d’été, etc. Il peut aussi référer à un objet, une plante, un animal, une situation, un événement associés à une saison : le pissenlit, les fleurs de cerisiers, sont associés au printemps, alors que la citrouille, les récoltes, l’Action de grâces sont associées à l’automne.

Au Japon, dans le haïku traditionnel, le choix du kigo s’effectue en référence à Kyoto, même si la floraison des cerisiers, par exemple, a lieu à des moments différents au sud et au nord du pays. Et la période du nouvel an est considérée comme une saison à part entière. Aujourd’hui, avec la prolifération du haïku sous toutes les latitudes, il est d’usage de considérer les mots de saison variables et adaptables selon les cultures. Certains remettent aussi en question l’obligation d’inclure un kigo au haïku.

Pour nourrir la créativité, des listes officielles, des almanachs de mots de saison, qu’on appelle des saijiki, ont été conçus pour l’utilisation pratique lors de l’écriture de haïkus. En 2014 était publié un Répertoire des mots de saisons adapté à l’Europe francophone et au Québec, aux Éditions du tanka francophone. On en trouve également dans Internet, en particulier dans la page de Seegan Mabesoone ou encore la page de Ryu Yotsuya qui expliquent, de manière fort intéressante, dans quel état d’esprit les Japonais conçoivent le kigo.




jeudi 26 mai 2016

samedi 14 mai 2016

5-7-5, disposition, ponctuation, majuscule

© Louise Vachon

La disposition du haïku sur trois lignes, la ponctuation, l’emploi de la majuscule, le nombre de syllabes requises dans un haïku, etc. font tous l’objet de conventions. Par exemple, le haïku, tel qu’on le conçoit dans les langues occidentales, comporte traditionnellement 17 syllabes. En japonais, on parle de 17 mores, qui sont des unités phonologiques. Le calcul des unités du poème ne se fait donc pas de la même manière d’une langue à l’autre. L’obligation d’un nombre déterminé de syllabes est ainsi remise en question. La traduction amplifie également la difficulté de conserver 17 syllabes.

Néanmoins, plusieurs poètes de haïku tiennent absolument à cette règle. Le danger est alors de conserver des mots inutiles, mais qui font le compte. Alors que certains haïkistes – ou haïjins en japonais – voient dans les 5-7-5 syllabes une contrainte et préfèrent la transgression en utilisant un modèle court-long-court, d’autres font valoir qu’on met ainsi sa créativité au défi en surmontant la difficulté. Toutefois, la brièveté du haïku sous-tend une règle d’or qui veut que chaque mot soit utile. 

Dans les langues occidentales, le haïku est disposé sur trois lignes, alors qu’au Japon, les idéogrammes formant le haïku sont disposés traditionnellement sur une seule ligne verticale. Là encore, il s’agit d’une convention. Certains écrivent maintenant leurs haïkus sur une seule ligne ou encore disposent les lettres ou les mots d’une façon originale pour créer un calligramme.

L’usage de la ponctuation change également selon les époques. Alors que dans les recueils plus anciens, on remarque l’usage de la ponctuation et de la majuscule en début de haïku, la tendance maintenant est plutôt de minimiser, voire de bannir complètement l’usage de la ponctuation et de la majuscule en disposant le haïku de façon centrée et en éliminant l’alignement à gauche. Cette façon de faire ne crée pas vraiment de problème puisque la césure, le kireji, doit demeurer facile à déceler à la lecture du texte.

Exemple d’un haïku du début du XXe siècle :


Le convoi glisse déjà.
Adieu Notre-Dame !...
Oh !... La gare de Lyon !

Paul-Louis Couchoud, Albert Poncin et André Faure
Au fil de l’eau, juillet 1903.

On remarquera que, même à l’époque, il était difficile de conserver 17 syllabes disposées de façon conventionnelle…

Voici un haïku actuel, centré, sans majuscule, sans ponctuation :


sur le même banc
deux vieillards font silence
le parc est désert

Carol Lebel



Photo et texte : © Louise Vachon

dimanche 17 avril 2016

Journée internationale du haïku



les bernaches
remontent vers le nord
escale


dans Laisse de mer, Éditions du Glaciel, p. 5.

mercredi 23 mars 2016

Printemps




des croassements
et un envol soudain
la tempête des corneilles


dans Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010, p. 35



Photo : © Louise Vachon

mardi 8 mars 2016

José María González de Mendoza


José María González de Mendoza, né à Séville (Espagne) en1893 et décédé à Mexico en1967, a été poète, critique, traducteur et diplomate.

Il quitte l’Espagne et déménage à Mexico en 1910, année de la Révolution mexicaine. Il travaille comme comptable et commence à publier des textes et des poèmes dans diverses revues. En 1923, il se rend en France pour poursuivre ses études au Collège de France et devient correspondant pour le journal El Universal (Mexico). Il retourne au Mexique en 1928.

Il travaillera, par la suite, dans le service diplomatique du Mexique à Paris. Il occupe diverses fonctions liées aux affaires étrangères en Belgique, au Portugal et à Cuba, tout en menant sa carrière littéraire. Il reçoit plusieurs décorations, dont l’Ordre national de la Légion d’honneur de la République française.

Admirateur de José Juan Tablada, ses haïkus sont empreints de simplicité.  En voici quelques-uns :

Mi vida es muda,
ni novia ni amistades…
¡Ah, sí ! La luna.

Ma vie est muette,
sans amis ni petite amie…
Ah oui ! La lune.


Ambición / Ambition :

La gota de agua
Cayendo, cayendo,
Se sueña Niágara.

La goutte de pluie
Qui tombe, qui tombe,
On rêve du Niagara.

Dos paisajes / Deux paysages :

Colinas :
Valles y cimas
¡La vida !

Les collines
Vallées et cimes
La vie !

El rojo acento
De tus labios me llama
Donde me quemo

Le rouge accent
De tes lèvres me nomme
Où je brûle

Quelques haïkus dans : El Rincóndel Haiku.org 
On peut lire également dans Internet un texte (en espagnol) ayant pour titre Los haijines mexicanos 

Photo : © Louise Vachon


mardi 16 février 2016

Février sur le fleuve




le Saint-Laurent
piégé dans une buée givrée
grands froids


dans Laisse de mer, Éditions du Glaciel, 2009, p. 35



Photo : © Roger Joannette

mardi 2 février 2016

Kireji : la césure


Photo : © Louise Vachon


Un lecteur m’écrit, me proposant un de ses haïkus où il est question d’un gardien de parc qui souffle sur une coccinelle posée sur un tract. Il me demande si c’est un haïku et, si oui, est-ce que c’est un « bon » haïku ?

Le haïku que vous proposez – oui, c’en est un – forme une phrase complète. Sujet, verbe, complément. Le haïku se présente quelquefois ainsi, bien que, selon les règles officielles, le haïku comporte ce qu’on appelle, en japonais, un kigo, ou « mot de saison »  - la coccinelle ici en est un, elle évoque l’été (nous y reviendrons) – et surtout, une césure ou kireji.

Qu’est-ce qu’un kireji ?  La césure est une pause qui sert à donner une tournure particulière au haïku et le fait évoluer. Le kireji au Japon désigne un mot, ya ou kana, et il existe plusieurs kireji aux significations particulières en versification japonaise. En français, on peut toujours utiliser des mots ou des onomatopées (ah !, oh !, déjà, etc.) qui font un peu artificiel mais qui se justifient parfois. Le haïku occidental étant disposé sur trois lignes, il est commun de privilégier un moment de pause entre deux vers et le troisième, soit après la 1re ligne ou après la 2e, comme si les deux segments étaient séparés du troisième par une virgule ou un point.

Puisqu’en haïku, selon les règles officielles, on ne doit pas utiliser d’émotions, ni être purement descriptif, la césure est un moyen de regarder d’un autre angle, de suggérer une signification particulière au haïku. L’art du haïku nous fait prendre conscience de ce qu’il y a de beau, d’insolite, de vrai, d’extraordinaire même, dans la vie de tous les jours. Que remarquez-vous d’un événement ordinaire ? Transcrivez-le, sans émotion explicite, mais avec les mots qui feront surgir cette émotion chez le lecteur. Voilà le « bon » haïku.

Voici un haïku qui illustre la césure après le 2e segment :

Sur une branche morte
Les corbeaux se sont perchés (césure ici)
Soir d’automne.
(Bashô)

Comment s’initier au haïku ? D’abord, lorsque le genre nous intéresse, il faut en lire le plus possible. Et puis, selon notre tempérament, si on désire échanger sur le sujet et confronter nos créations, des groupes d’échange existent un peu partout, dont les membres se rencontrent périodiquement.

Des groupes existent aussi dans la sphère Internet et sur les médias sociaux où il y a également partage des écrits des participants. Depuis quelques années, le mois de février est un mois de création et de partage de haïkus dans Internet : c’est le Mois national d’écriture de haïkus, le NaHaiWriMo (National Haiku Writing Month). En français, les haïkistes sont invités sur Facebook à partager un haïku par jour pendant tout le mois de février.

mardi 26 janvier 2016

Lumière d'hiver




ce soir
randonnée au clair de lune
les arbres dansent



dans Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010, p. 14

Photo : © Roger Joannette

lundi 11 janvier 2016

Ce qu'ils ont dit - Victor-Lévy Beaulieu



Pour le magazine L'Actualité, Victor-Lévy Beaulieu, écrivain québécois (né en 1945) s'exprime sur l'écriture dans une entrevue, réalisée en 2010, avec des journalistes français. L'oeuvre de M. Beaulieu est colossale : autour de 80 ouvrages publiés dans les domaines du roman, théâtre, essai, conte, chronique, en plus des recueils de lettres et des oeuvres écrites pour le cinéma et la télévision. Ses romans sont souvent des pavés de 600 à 1400 pages. Un des journalistes, Olivier Mony, lui demande :

«Êtes-vous tenu de faire du VLB? interroge Olivier Mony. Pourriez-vous décider : «J'en ai marre, je fais minimaliste»?»  Bouffée de pipe. «Ce qui m'importe est de prendre la parole.» Re-bouffée de pipe. «J'ai déjà fait l'exercice du minimalisme avec un recueil de haïkus (Vingt-sept petits poèmes pour jouer dans l'eau des mots, 2001)... Mais c'est passé dans le beurre!»

… ce qui signifie que son recueil est passé totalement inaperçu, hélas.

En voici quelques-uns :


Le trottoir, la rue,
Le matin. Bruits de talons.
Le travail déjà.

La boulangère –
Ses cuisses aussi brunes
Que le pain du jour.

Au fond, cette cour.
Vois la corde à linge
Que tisse le vent.

Dans ma main je tiens
Cette pomme. Un cheval roux
Mord vite dedans.

Le chasse-neige
Comme une queue de veau
Dans la tempête.

En vert sur le mur
Carte des rues de Dublin :
Pays de Joyce.

Tombe la neige
Siffle et gifle le vent.
L’hiver perdure.

Table de pommier
Livres empilés dessus
De la lumière.

Source : Danielle Stanton, VLB raconté aux Français, L’Actualité, 12 octobre 2010.

Référence : Victor-Lévy Beaulieu, Vingt-sept petits poèmes pour jouer dans l’eau des mots. Éditions Trois-Pistoles, 2001, 67 p.