dimanche 22 décembre 2013

L'empire des signes


Roland Barthes (1915-1980), écrivain français, a fait paraître en 1970, un ouvrage intitulé L’empire des signes, inspiré d’un voyage au Japon. Il y traite, entre autres, du haïku. On peut lire ceci :

«Le haïku a cette propriété quelque peu fantasmagorique, que l’on s’imagine toujours pouvoir en faire soi-même facilement. On se dit : quoi de plus accessible à l’écriture spontanée que ceci (de Buson) :

C’est le soir, l’automne,
Je pense seulement
À mes parents.

Le haïku fait envie : combien de lecteurs occidentaux n’ont pas rêvé de se promener dans la vie, un carnet à la main, notant ici et là des «impressions», dont la brièveté garantirait la perfection, dont la simplicité attesterait la profondeur. (…) Tout en étant intelligible, le haïku ne veut rien dire, et c’est par cette double condition qu’il semble offert au sens, d’une façon particulièrement disponible, serviable, à l’instar d’un hôte poli qui vous permet de vous installer largement chez lui, avec vos manies, vos valeurs, vos symboles; l’«absence» du haïku (…) appelle la subornation, l’effraction, en un mot, la convoitise majeure, celle du sens. Ce sens précieux, vital, désirable comme la fortune (hasard et argent), le haïku débarrassé des contraintes métriques, semble nous le fournir à profusion, à bon marché et sur commande; (…) le travail de lecture qui y est attaché est de suspendre le langage, non de le provoquer : entreprise dont précisément le maître du haïku, Bashô, semblait bien connaître la difficulté et la nécessité :

Comme il est admirable
Celui qui ne pense pas : «La Vie est éphémère.»
En voyant un éclair!»

Le haïku réussi est celui qui devrait nous réduire au silence.


Source : Barthes, Roland, Œuvres complètes III. Livres, textes, entretiens 1968-1971. Paris, Seuil, 2002. 1074 p. (pp. 403-407)

samedi 30 novembre 2013

Ce monde flottant

On retrouve le concept d’Ukiyo, « monde flottant », dans plusieurs haïkus japonais. Ce monde fait référence à l’impermanence des choses et l’importance du moment présent, notions en lien avec la spiritualité orientale.
Alors que jadis, on prétendait que les fruits de ce monde de souffrance et de destinée fluctuante pourraient être récoltés dans une vie ultérieure, à compter du 17e siècle environ, le monde flottant fait surtout référence à l’importance de profiter du temps présent tout en affichant une certaine insouciance face à l’avenir. On en voit très bien l’illustration dans les Contes du monde flottant (Ukiyo Monogatari) de l’écrivain Asai Ryôi (1666) :

Vivre uniquement le moment présent,
se livrer tout entier à la contemplation
de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier
et de la feuille d'érable... ne pas se laisser abattre
par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître
sur son visage, mais dériver comme une calebasse
sur la rivière, c'est ce qui s'appelle ukiyo. 


À cet égard, les estampes sont souvent identifiées comme étant les « images du monde flottant ». La grande vague de Kanagawa (1830 ou 1831) d’Hokusai, est une ukiyo-e. Elle fait partie de la série des Trente-six vues du mont Fuji :


On traduit souvent en français le concept de monde flottant par « monde éphémère », ce qui rend davantage le sens d’impermanence. Voici quelques haïkus, certains faisant référence au monde d’afflictions et de tourments, les autres à la vision insouciante, plus moderne :

La fin de l’année.
Tous les problèmes
de ce monde flottant, balayés.
(Bashô)

Dans ce monde qui est le nôtre,
nous marchons sur le toit de l’enfer
en contemplant les fleurs.
(Issa)

En ce monde flottant
Devenez bonze en chef
Et vous ferez la sieste !
(Sôseki)

Sous les fleurs d’un monde flottant
Avec mon riz brun
Et mon saké blanc
(Bashô)

Regarde, regarde
les vraies fleurs
de ce monde de souffrance.
(Bashô)

Sous la lune d’automne,
Cinq ou six bandits ;
Des êtres qui vivent en dehors de ce monde.
(Buson)

Dans ce monde,
même les papillons
doivent gagner leur pain.
(Issa)

Les gouttes de rosée tombent
une par une.
Ce monde est parfait.
(Issa)



Source : Collectif, Le Japon illustré. Fage Éditions, 2009.
Les grands maîtres du haïku. Bashô, Issa, Buson, Shiki, Taïgi. Paris, Éditions Dervy, 2003.

dimanche 17 novembre 2013

Novembre

 
 
le foin de mer jaunit
 
les oiseaux sont immobiles
 
le fleuve attend l'hiver
 
 
Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010.
 
photo © Louise Vachon

mercredi 23 octobre 2013

Miroirs de la nature



Ce volume à la reliure soignée nous présente des haïkus des grands maîtres du genre : Bashô, Buson, Shiki, Issa, entre autres. On se concentre ici sur les haïkus dédiés aux animaux et aux plantes. Chaque haïku est illustré d’une estampe en couleurs également produite, dit-on, par un grand maître tel Utamaro, Hiroshige ou Hokusai. Un beau livre à offrir ou à s’offrir. Il aurait été souhaitable d’identifier les artistes, pour chacune des gravures, comme on l’a fait pour les haïkus.
 
Quelques extraits :
 
Soir d’hirondelles –
demain encore
je n’aurai rien à faire
(Issa)
 
Après la danse
le vent dans les pins
le chant des insectes
(Sogetsu-ni)
 
Les oies sauvages au loin parties
le champ de riz devant la maison
semble envolé
(Buson)
 
Des grues sur les champs
à demi moissonnés –
automne au village
(Tôsei)
 
Sur la plage à marée basse
tout ce qu’on ramasse
bouge
(Chiyo-ni)
 
Oie sauvage oie sauvage
à ton premier voyage
quel âge avais-tu?
(Issa)
 
Référence : Miroirs de la nature. Recueil de haïkus. Collection « Classiques en images ». Paris, Éditions du Seuil, 2012.

samedi 5 octobre 2013

Feuilles d'automne




 
marcher dans les feuilles
une odeur de roussi
un bruit de croustilles
 
texte : © Louise Vachon
photo : © Roger Joannette


 

samedi 28 septembre 2013

Reginald Horace Blyth



R. H. Blyth est un auteur britannique (1898-1964) connu, chez les haïkistes, pour son ouvrage majeur en quatre volumes intitulé Haiku. Dans sa jeunesse marquée par la Première Guerre mondiale, il est pacifiste et objecteur de conscience, ce qui lui vaut d’être emprisonné. Il obtient en 1923 un grade universitaire en anglais. Devenu professeur, il enseigne d’abord l’anglais en Inde, puis en Corée. Il apprend, à cette époque, le chinois et le japonais. Polyglotte, musicien, végétarien, il s’intéresse également au bouddhisme zen et on le retrouve professeur d’anglais au Japon en 1939. Il y passera le reste de sa vie. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est de nouveau emprisonné puisqu’il appartient à une nation ennemie.
En 1946, il enseigne l’anglais au prince héritier, Akihito, qui deviendra empereur du Japon. Il fait beaucoup pour populariser le haïku traditionnel japonais en Occident après la guerre, sans toutefois être un écrivain prolifique de haïku. Les quatre tomes de Haiku sont publiés entre 1949 et 1952. Ces ouvrages présentent un grand nombre d’écrivains japonais et des haïkus traditionnels traduits en anglais. Selon lui, le bouddhisme zen influence directement le haïku. Plusieurs poètes américains sont sensibilisés à ce genre littéraire grâce aux travaux de R. H. Blyth. C’est le cas des poètes de la Beat Generation, tels Jack Kerouac et Allen Ginsberg, et d’autres écrivains qui viendront par la suite, tels William J. Higginson, Jane Reichhold et Lee Gurga. R. H. Blyth publiera également plusieurs livres sur le zen et sur la littérature anglaise et japonaise.

 
Certains textes sont toujours disponibles dans Internet.

 
Quelques haïkus de R. H. Blyth:

A snail
Dreams a blue dream
On the back of a leaf.
 
I leave my heart
to the sasanqua flower
on the day of this journey.
 
Going forth…
Leaving my thoughts
In a sasanqua flower.



dimanche 22 septembre 2013

Septembre



 
nuit de septembre
la lumière d'un tracteur
et la lune des moissons
 
texte et photo : © Louise Vachon


samedi 13 juillet 2013

Le haïku selon Michel Onfray






Michel Onfray, philosophe et écrivain, a publié, en juin 2013, sur son site, une chronique sur le haïku intitulée L’épiphanie du réel.  Michel Onfray nous invite à la découverte du haïku, exercice de connaissance du monde, qui immobilise ce qui fuit, cherche à retenir le temps et qui, au fond, s’incline devant l’éphémère et la fugacité du monde. À lire. En voici un extrait :

Le haïku dit pour n’avoir plus à dire, il manifeste pour laisser une trace qui s’estompe et disparaît – comme le réel. Il saisit le diamant du réel et l’efface pour n’obtenir qu’une mémoire bientôt évaporée elle aussi de ce qui a été dit. Les mallarméens commencent par la fin et font disparaître le réel au profit du verbe ; les auteurs de haïkus commencent par le début, ils saisissent le réel dans l’une de ses manifestations et utilisent le verbe au profit des images qui génèrent la sensation enfuie. Ils présentifient la disparition, ils actualisent la fugacité, ils fixent le mouvement, ils nomment l’éphémère, ils montrent l’à peine visible.
Cette poésie suppose des livres qui n’éloignent pas du monde, mais y ramènent. L’occident a intercalé des bibliothèques entre nous et le monde. De sorte qu’on n’est moins soucieux de dire le monde que de dire les livres qui disent le monde. Les recueils de haïkus sont des livres qui effacent les livres et les transforment en voie d’accès au monde oublié par trop de livres. Les dévots du verbe ont oublié le monde ; les sages du monde congédient le verbe – avec un verbe qui va s’évaporer comme la rosée. Le haïku est l’ultime parole avant le silence.

samedi 29 juin 2013

Un tanka d'été

pour voyager
je n’attendrai pas
la retraite
avec les années qui passent
mes pantoufles s’alourdissent

dans Nuages d’octobre,
Éditions des petits nuages, 2013, p. 65
Photo © Julie Vachon-Joannette

vendredi 14 juin 2013

Tankas

Un tanka est un poème d’inspiration japonaise, comme le haïku, non rimé, comportant 31 syllabes, qu’on dispose le plus souvent, en français, sur cinq lignes. Le tanka est l’ancêtre du haïku. Il caractérise, au Japon, la période de Heian (794-1185), qu’on peut traduire par « paix ». À cette époque, la cour impériale japonaise, qui est à son apogée, est célébrée notamment dans la littérature, par le tanka. On considère toujours le tanka classique comme la forme la plus élevée de la poésie japonaise. Et les membres de la famille impériale continuent, encore aujourd’hui, d’écrire des tankas, en particulier lors d’occasions spéciales, comme le nouvel an.

Sommairement, le tanka est construit en deux parties : la première, formée de 3 vers de 5-7-5 syllabes, semblable au haïku, et une seconde partie, formée de 2 vers de 7-7 syllabes, qui vient répondre à la première partie du poème. Tandis que le haïku se base sur le réel et l’objectivité, le tanka fait appel aux sentiments. Amour, tendresse, solitude, mélancolie sont traités tout en conservant la concision, la musicalité, le pouvoir d’évocation, si chers à la poésie japonaise.

Voici quelques tankas, écrits par Yosano Akiko (1878-1942) :


Les cheveux dénoués
Dans la douceur de la pièce
Le parfum des lis
Je crains qu’ils ne disparaissent
Rouges pâles dans la nuit

La couleur pourpre,
A qui la raconter ?
Tremblements de sang,
Pensées émues de printemps,
En pleine floraison la vie !

Pluie fine soudain
Sur les feuilles de lotus blancs ;
Tu peins près de moi,
Au creux d’une petite barque
Sous l’aile de mon parapluie

Dans les tons de mauve
Sur les petites herbes
Tombe mon ombre ;
Vent de printemps sur les champs
Lisse au matin mes cheveux

De soie légère
Sa manche longue de deux pieds
D’où ruisselle
Une rivière de lucioles
Dans le bleu du vent du soir




Pour poursuivre la réflexion :
Anthologie de la poésie japonaise classique. Édition de G. Renondeau. Paris, Gallimard, 1971.
Yosano Akiko, Cheveux emmêlés, Paris, Les Belles Lettres, 2010.

dimanche 2 juin 2013

Tanka



À souligner : la parution d’un collectif de tankas, Nuages d’octobre, aux Éditions des petits nuages. Dirigé par Maxianne Berger et Mike Montreuil, ce recueil regroupe 61 tankas de 39 auteurs.

En voici un des miens :


 

sur mon zafu
tout n’est qu’illusion
dehors
un marteau-piqueur
me rappelle que j’existe

vendredi 17 mai 2013

Haïkus d'ailleurs : Allen Ginsberg

«Kerouac, Burroughs et moi avons eu le même credo : composer une poésie nouvelle basée sur le langage parlé, celui de la rue. » (dans Libération, 7 avril 1997)

Allen Ginsberg (1926-1997) est l’un des poètes de la Beat Generation, avec Jack Kerouac, Neal Cassady et William Burroughs, entre autres. Animés, dans les années cinquante et soixante, par leur recherche spirituelle, faite d’expériences extatiques tous azimuts et de bohème, ils se tournent bientôt vers les philosophies orientales, la méditation zen et la pratique du haïku. Ginsberg a le souci de condenser et, attiré par les formes brèves, ses poèmes se présentent souvent sous forme de pensées ou d’aphorismes. Ses haïkus sont également remarquables par leur simplicité. À ma connaissance, ceux-ci n’ont pas été traduits en français.

Drinking my tea
Without sugar-
No difference.

Looking over my shoulder
my behind was covered
with cherry blossoms.

Winter Haiku
I didn't know the names
of the flowers--now
my garden is gone.

I slapped the mosquito
and missed.
What made me do that?

Reading haiku
I am unhappy,
longing for the Nameless.

Another year
has past-the world
is no different.

My old desk:
the first thing I looked for
in my house.

My early journal:
the first thing I found
in my old desk.

My mother's ghost:
the first thing I found
in the living room.

The moon over the roof,
worms in the garden.
I rent this house.
Tiré de : Haiku (Never Published)

À lire : Modern Sitting Haiku (en anglais)  

samedi 4 mai 2013

Le Bic au printemps



au crépuscule
le temps s’arrête
dans un lit de lumière

Dans Laisse de mer, Éditions du Glaciel, 2009.
Photo © Louise Vachon

vendredi 19 avril 2013

Hashimoto Takako

Hashimoto Takako (1899-1963) a commencé à écrire avec Sugita Hisajo. Elle fait partie de la génération de femmes reconnues dans le monde du haïku. Elle s’est illustrée en particulier dans le groupe de la revue Hototogisu (Coucou) et dans celui de la revue Ashibi (Azalée) qui est toujours publiée aujourd’hui. Elle se joint à Yamaguchi Seishi en 1948 pour fonder la revue Tenro (Sirius).

Neige violente –
tant de choses à écrire
encore

Mille branches en fleurs –
mon vêtement de deuil
est une seconde peau

Tempête de neige.
Ma coiffure de veuve
en désordre.

Il commence à neiger.
Je me sens seule
en prenant mes baguettes

Coupant la pêche blanche,
la pointe du couteau
casse le noyau

Temps des moissons.
Sur mon sein, la morsure
de mon nourrisson.

Sous l’ardent soleil
la sève de pin embaume
à chaque coup de hache.

Quelques sources :
Corinne Atlan et Zéno Bianu, Haïku. Anthologie du poème court japonais. Paris, Gallimard, 2002.
Haïjins japonaises, Du rouge aux lèvres. Anthologie traduite du japonais et présentée par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku. La Table Ronde, 2008. 265 p.
William J. Higginson with Penny Harter, The Haiku Handbook. Tokyo, Kodansha International, 1985. 331 p.

dimanche 14 avril 2013

Temps des sucres

la neige fond
au pied des érables
temps des sucres

Ce haïku est publié dans le numéro 39 de Gong, la revue francophone de haïku. Le temps des sucres désigne la période où on recueille, au printemps, la sève d’érable qu’on fait bouillir pour en faire du sirop.

Photo © Roger Joannette

lundi 1 avril 2013

Sugita Hisajo

Sugita Hisajo, née à Kagoshima en 1890 se fait connaître, comme beaucoup de femmes haïkistes, en participant à la revue Hototogisu (« Coucou ») fondée par Shiki et dirigée à ce moment par Kyoshi Takahama. Comme plusieurs autres, elle excelle à la fois en poésie et en calligraphie. Elle contribue à former Hashimoto Takako qui s’illustrera dans le haïku contemporain.

Une particularité de plusieurs de ses haïkus, outre la variété des thèmes, est la création d’une perspective en montrant à la fois un arrière-plan et un premier plan. Les fleurs sont souvent un prétexte pour utiliser ce procédé.

fleurs de volubilis
le ciel au-dessus de ce quartier
commence à s’ennuager


l’air frais d’automne
arrive aux fleurs d’hortensia
pays de Shinano

je coupe de la soie
des tiges de millets ondulent et s’entrelacent
à la fenêtre.

dans l’horrible foule
mon cœur s’est brisé
à la vue des lys innocents

temple en automne -
tirant violemment ses cheveux
une femme pleure

matin de froid-
tandis que j’allume le feu
l’enfant réveillé me rejoint

jour des chrysanthèmes-
en peignant mes cheveux mouillés
une pluie de gouttes

échos de voix d’un coucou
ils dominent la montagne
à volonté

enfoncé dans l’obi
trop serré et rigide
un éventail d’automne


kimono fleuri-
en se déshabillant s’accrochent
les différents cordons

Une lecture au second degré est souvent proposée pour ce dernier haïku. En effet, on veut y voir une volonté, pour Sugita Hisajo, de se dégager des  entraves qui maintiennent les femmes dans le rôle de mère au foyer. Elle affirme elle-même qu’elle n’éprouve aucun goût pour les tâches domestiques, se voyant totalement dédiée à son art, ce qui contraste fortement avec les mœurs de l’époque. Difficultés conjugales, idées suicidaires, maladie mentale, les différents auteurs ne s’entendent pas tous. Elle est morte, semble-t-il, dans un sanatorium en 1946.

Source : site Nekojita
Makoto Ueda, Far Beyond the Field. Haiku by Japanese Women – An Anthology. New York, Columbia University Press, 2003.
Haïjins japonaises, Du rouge aux lèvres. Anthologie traduite du japonais et présentée par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku. La Table Ronde, 2008. 265 p.

vendredi 15 mars 2013

Mars



le vent dans les arbres
le jeu des ombres
sur la neige

tiré de Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010.
Photo © Louise Vachon

samedi 2 mars 2013

Chigetsu-ni

Pour diverses raisons, les renseignements sur les femmes haïkistes, provenant de sources diverses, ne convergent pas toujours. Il en est ainsi de Chigetsu-ni, pour certains née en 1622, pour d’autres en 1632 ou en 1640. On sait peu de choses d’elle, sinon qu’après la mort de son époux, elle devient nonne et se consacre à son art. Elle est, non seulement une contemporaine de Bashô, mais son écriture est influencée par le style du  maître. On dit même qu’elle a fait partie de son école. La date de son décès est également incertaine (1708, 1718, 1736).

le rossignol!
mes mains au-dessus de l’évier
s’interrompent

Sur la pointe des pieds
mon fils m’invite à regarder la lune
la montrant du doigt

En fondant,
la neige
ravive les pousses

Fin d’année –
tirée par mes petits-enfants,
je me lève avec peine.

Un grillon,
dans la manche de l’épouvantail,
chante.

Pour lire les haïkus de Chigetsu-ni et d’autres femmes haïkistes :
Haïjins japonaises, Du rouge aux lèvres. Anthologie traduite du japonais et présentée par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku. La Table Ronde, 2008. 265 p.

mercredi 13 février 2013

Février

derrière moi
un bruit de pas
l'écho de mes raquettes
 
tiré de Hivernité, Éditions du Glaciel, 2010.
 
Photo © Roger Joannette


dimanche 3 février 2013

Chiyo-ni


On parle volontiers des « auteurs » classiques de haïku. Plusieurs femmes ont également écrit. On en parle encore trop peu dans l’histoire du haïku japonais. L’une de ces auteures est, sans contredit Chiyo-ni (1703-1775), peintre et poète. Elle mène, semble-t-il, une vie assez autonome pour l’époque, faite de voyages et de rencontres poétiques. Elle est l’élève de Shiko Kagami, disciple de Bashô. Femme d’une grande beauté, un poète compose ce haïku pour elle :

ne fais pas tomber le voyageur
de son cheval
belle herbe

Elle travaille une grande partie de sa vie dans le commerce familial de calligraphie et de peinture. Elle délaisse toutefois le commerce, à l’âge de cinquante ans, et devient nonne. La poésie devient son art de vivre. La voie spirituelle et la démarche artistique se confondent chez elle. Elle publie deux recueils de haïkus. En français, on peut lire Chiyo-ni – bonzesse au jardin nu, aux éditions Moundarren, 2005.

le rouge à lèvres
ma bouche a oublié
ah! l'eau de la source


 

le son de la cloche du soir
immobilisé dans le ciel
les cerisier en fleurs

 

nuit de neige
seul le son du seau

descendant dans le puits

 

fraîcheur!
le bas de ma robe soulevé par le vent
dans le bosquet de bambous

 

l'eau limpide
ni dedans
ni dehors

le vent qui passe les disperse
les rassemble
les pluviers

première neige
ce que j'écris s'efface
ce que j'écris s'efface

dans la rue derrière
des ronflements épanouis
nuit de pleine lune

adieu
fleur du monde flottant
fleur de coquelicot

pluie de printemps
toute chose
embellit

le liseron
au seau du puits s’est enroulé
à mon voisin je vais quémander de l’eau

interrompant mon rêve
le chrysanthème sur le tatami
vient d’éclore

On peut remarquer, chez Chiyo-ni, des haïkus de la nouvelle année :

d’une coupe de saké épicé du nouvel an
jusqu’à une autre coupe
premier plaisir de l’année

voilée, dévoilée
montagne après montagne
première brume de l’année

batifolent les grues
jusque dans le ciel
premier soleil de l’année

Le dernier haïku qu’elle écrira de sa main est celui-ci :

l'eau est limpide et fraîche
les lucioles s'éteignent
rien d'autre

Elle dicte ce dernier poème avant de mourir :

j'aurai vu la lune aussi
à ce monde
adieu

Pour lire des haïkus de Chiyo-ni, voir le site de Nekojita.
Source illustration : Wikipédia

samedi 19 janvier 2013

Buson

Yosa Buson (1716-1783), peintre et poète, est l’un des quatre grands maîtres du haïku (Bashô, Buson, Issa, Shiki). Buson a, à sa manière, renouvelé le haïku au XVIIIe siècle en popularisant le haïga, peinture ou dessin accompagné d’un haïku. Il est l’auteur d’environ 3000 haïkus.

Buson voyage, puis mène une vie simple : il s’installe dans un temple et vit de peinture, de calligraphie et de poésie. À compter de 1770, il devient un peintre « bunjin-ga » très recherché. Le bunjin-ga (peinture de lettrés) ou nan-ga (peinture du Sud) est l’œuvre de lettrés de culture confucéenne, connaisseurs de la poésie chinoise. C’est une peinture à l’encre de Chine, monochrome, qui représente le plus souvent des paysages.

Voici quelques-uns de ses haïkus :

Dans la brume de printemps
le vol blanc
d’un insecte au nom inconnu

Dans les jeunes herbes
le saule
oublie ses racines

Délice
de traverser la rivière d’été
sandales en main!

Pour celui qui part
pour celui qui reste –
deux automnes

Les montagnes au loin –
reflet dans les prunelles
d’une libellule

Une souris piétine
une assiette –
bruit froid!

Dans la chambre
ce froid vif sous mon pied –
le peigne de ma femme morte


Pour aller plus loin : William J. Higginson with Penny Harter, The Haiku Handbook. Tokyo, Kodansha International, 1985. 331 p.
Corinne Atlan et Zéno Bianu, Haïku. Anthologie du poème court japonais. Paris, Gallimard, 2002.
Source des illustrations : Wikipédia