mardi 29 mai 2018

Pourquoi j'aime le haïku?


 Parce que cette forme si brève et si simple rejette le superflu en se concentrant sur l’essentiel. On pourrait même dire, à la limite, qu’il chemine vers le néant lorsqu’il devient minimaliste. Même si on tente, autant que possible, d’éviter les rapprochements avec le zen, la démarche n’en demeure pas moins spirituelle, dans le sens où le dépouillement et le détachement président à sa création. Branché le plus souvent sur la nature, le haïku n’entretient pas nécessairement de rapport descriptif avec la réalité, mais permet d’aller plus loin, mettant parfois en évidence une symbolique, un élément esthétique, une atmosphère particulière, qui ne sont pas exposés explicitement à la lecture du haïku. Le haïku nous communique ainsi beaucoup plus de choses qu’il n’y paraît. Réussi, c’est le poème auquel on ne peut ajouter ou retrancher un seul mot. On va même jusqu’à dire qu’un bon haïku, lu à haute voix, ne devrait rencontrer que le silence chez l’auditeur. C’est sans doute ce que Roland Barthes, dans L’empire des signes, appelle « la vision sans commentaire ». Ce qui est aboli, ce n’est pas le sens, c’est la finalité : le haïku ne sert à aucun des usages concédés à la littérature, soit instruire, exprimer, distraire.

paru dans la revue Gong, juillet-septembre 2017, p. 5.

Image : Hiroshige, 1832. Source : The New York Public Library Digital Collection

lundi 7 mai 2018

Mon haïku préféré


Un grand nombre de haïkus auraient mérité, pour moi, le titre de « haïku préféré ». Néanmoins, un haïku de Bashô me plaît particulièrement :

un moine boit son thé du matin
dans la quiétude
des chrysanthèmes en fleurs (1)

Le contexte de ce haïku est le suivant : Bashô emménage dans une chaumière que ses disciples ont louée pour lui dans le domaine d’un temple bouddhiste, sur la rive du lac Biwa. Bashô compose donc ce haïku. S’est-il mis lui-même en scène ou observe-t-il un moine qui, en toute quiétude, prend son thé du matin? Qu’importe ce qui se passe à l’extérieur de lui-même, ce moine est parfaitement centré, dirait-on aujourd’hui, en paix avec lui-même et savoure son thé.

Ce qui est intéressant dans ce haïku, c’est la présence des chrysanthèmes, plantes reliées aux défunts, à l’automne, voire au soir de la vie et qui, pourtant, sont en fleurs, d’une floraison sans doute tardive mais facile à associer à la persistance des rayons du soleil. Le chrysanthème est, de plus, porteur d’une symbolique impériale très forte au Japon, associée à la joie et au bonheur. Par exemple, l’Ordre suprême du Chrysanthème, la plus haute distinction japonaise, sera établi en 1876 par l’empereur Meiji.

Que ce moine soit dans la quiétude, au petit matin, à l’automne de sa vie, qu’il ait refusé les honneurs ou autres bonheurs terrestres, ce haïku nous donne donc à voir son détachement absolu.

Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec ce proverbe arabe : les chiens aboient, la caravane passe. Celui qui est sûr de sa voie, qui est au bon endroit, ne laisse pas détourner son attention par des détails extérieurs à lui-même. Un haïku qui propose une belle leçon de vie.


(1) Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Bashô, maître de haïku. Albin Michel, 2011.

Paru dans Gong, Revue francophone de haïku, Juillet-septembre 2017, p. 20-21

Image : Hiroshige, 1832. Source : The New York Public Library Digital Collection