Un grand nombre de haïkus auraient mérité, pour moi,
le titre de « haïku préféré ». Néanmoins, un haïku de Bashô me plaît
particulièrement :
un moine boit son
thé du matin
dans la quiétude
des chrysanthèmes
en fleurs (1)
Le contexte de ce haïku est le suivant : Bashô
emménage dans une chaumière que ses disciples ont louée pour lui dans le
domaine d’un temple bouddhiste, sur la rive du lac Biwa. Bashô compose donc ce
haïku. S’est-il mis lui-même en scène ou observe-t-il un moine qui, en toute
quiétude, prend son thé du matin? Qu’importe ce qui se passe à l’extérieur de
lui-même, ce moine est parfaitement centré,
dirait-on aujourd’hui, en paix avec lui-même et savoure son thé.
Ce qui est intéressant dans ce haïku, c’est la présence
des chrysanthèmes, plantes reliées aux défunts, à l’automne, voire au soir de
la vie et qui, pourtant, sont en fleurs, d’une floraison sans doute tardive
mais facile à associer à la persistance des rayons du soleil. Le chrysanthème
est, de plus, porteur d’une symbolique impériale très forte au Japon, associée
à la joie et au bonheur. Par exemple, l’Ordre suprême du Chrysanthème, la plus
haute distinction japonaise, sera établi en 1876 par l’empereur Meiji.
Que ce moine soit dans la quiétude, au petit matin, à
l’automne de sa vie, qu’il ait refusé les honneurs ou autres bonheurs
terrestres, ce haïku nous donne donc à voir son détachement absolu.
Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec
ce proverbe arabe : les chiens
aboient, la caravane passe. Celui qui est sûr de sa voie, qui est au bon
endroit, ne laisse pas détourner son attention par des détails extérieurs à
lui-même. Un haïku qui propose une belle leçon de vie.
(1) Hervé Collet et Cheng Wing Fun, Bashô, maître de haïku. Albin Michel,
2011.
Paru dans Gong,
Revue francophone de haïku, Juillet-septembre 2017, p. 20-21
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