mercredi 12 octobre 2016

Sabi


Bashô, universellement reconnu comme étant le père du haïku, a élaboré de son vivant des principes, pour l’écriture de haïkus, qu’il appliquait à son école. L’un de ces principes, le sabi, peut se définir comme la conscience du passage du temps et de l’altération qui en résulte, infligée aux êtres et aux choses. On fait ainsi référence à des notions de vieillissement, d’usure. C’est ainsi qu’on parlera de la patine du bronze, de la rouille du fer, de l’usure des ans, des lichens, du bois vermoulu, des cheveux blancs, du déclin, du regret du temps passé, etc. Quelques exemples :


Les gardiens des fleurs
rapprochent en devisant
leurs têtes chenues

                            Kyoraï

Une courge cireuse –
La forme de nos visages
tout altérée

                            Bashô

la flopée de mouches
échappe à ses claques
ah! cette main ridée

                        Issa

Rien ne bouge
Que le ciel d’été
Lichen sur les pins

                                      Shûson Katô

Mes facultés
de discernement cessent –
Fin de l’année

                          Bashô

Cette notion ne nous est pas étrangère. On connaît, en poésie française, La Chanson d’automne de Verlaine (« Les sanglots longs des violons de l’automne… ») ou encore Les Feuilles mortes de Prévert (« Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, Les souvenirs et les regrets aussi… ») ou encore, en poésie québécoise, ce passage de La marche à l’amour de Gaston Miron :

puis les années m’emportent sens dessus dessous
je m’en vais en délabre au bout de mon rouleau (…)

C’est aussi le poème Lassitude, de Rina Lasnier :

Lassitude, ô ma lassitude de vivre!
Plus lasse que toutes les lassitudes.
Plus lasse que la chair lasse de se meurtrir et d’aimer,
que la chair opprimée d’un poids rebutant,
que la chair qui lutte et impuissante se rend (…)



Pour aller plus loin :
Bashô, Seigneur ermite. L’intégrale des haïkus, La table ronde, 2012.
Henri Brunel, Sages ou fous les haïkus?, Calmann-Lévy, 2005.
Philippe Costa, Petit manuel pour écrire des haïku, Éditions Philippe Picquier, 2000.
William J. Higginson, The Haiku Handbook, Kodansha International, 1985.
Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, La poésie québécoise, des origines à nos jours. Typo, 2007.

Texte et photo : ©️ Louise Vachon

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